Comment en sommes nous arrivés là ? La terrible crise que connaissent les agriculteurs des filières bovines, porcines et du lait semble avoir été rendue publique la semaine dernière. Pire, le gouvernement semblait décontenancé face à un mouvement qui ne faisait que traduire la détresse de tout un secteur, pourtant en voie de paupérisation depuis plusieurs années dans une indifférence quasi-générale.
Le prix moyen de la viande bovine s’est effondré de 13% en deux ans, le lait a chuté de 16% au premier semestre 2015, dans ce contexte comment a-t-on pu imaginer qu’il n’y aurait pas d’impact sur les trésoreries des agriculteurs déjà mises à mal ces dernières années ? Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas agit plus tôt pour, au moins, tenter de limiter les effets, pourtant connus, de la dégradation continue de la rémunération de la profession ?
Cette situation était non seulement prévisible mais également évitable, au moins en ce qui concerne sa violence. Les effets du plan Sarkozy de 2009 se font sentir à plein, puisque les annuités reportées alors, sont devenues exigibles. Or, la situation économique s’est encore dégradée, singulièrement pour le monde agricole. La filière porcine est victime de plusieurs facteurs tels que des normes inapplicables et déconnectées des réalités des exploitations, imposées en France mais non effectives dans d’autres pays qui profitent de fait d’un avantage concurrentiel, à cela s’ajoute le manque de compétitivité des abattoirs français. En outre, la consommation de viande ne cesse de baisser en France depuis 1998. Dans le lait, la dérèglementation européenne pèse à plein et la filière n’a pas été soutenue face à la concurrence des laits à bas prix importés massivement depuis quelques mois. Enfin, les intermédiaires ne jouent pas leur rôle et continuent de prendre des marges qui ne sont pas redistribuées aux producteurs qui ne cessent de s’appauvrir.
Le désarroi du ministre de l’Agriculture qui a d’abord refusé de se rendre à Caen était palpable sur les chaînes de télévision. Son revirement de dernière minute face à la colère des agriculteurs, notamment des plus jeunes, endettés sans espoir d’avenir, est intervenu trop tard. Son refus de se rendre sur le terrain, alors que la crise explosait, au prétexte qu’il manquait d’informations, qu’il attendait un énième rapport, et qu’il refusait de se voir imposer une date et un lieu de rendez-vous ne peut qu’être perçu comme un signe de plus de dédain à l’égard d’une profession oubliée et pourtant essentielle.
Quant aux mesures proposées par le gouvernement, elles ont déçu les agriculteurs. Elles prévoient des reports d’échéances de charges et d’impôts, une garantie sur des prêts de la part de la BPI à hauteur de 500 millions, pour les exploitations en situation particulièrement critique le Fonds d’allègement des charges est porté de 8 à 50 millions d’euros, la taxe sur le foncier non bâti sera effacée et le gouvernement procèdera à un remboursement anticipé de TVA à hauteur de 150 millions d’euros. Le gouvernement a également décidé de favoriser la consommation française dans les établissements publics mais avec un effet qui ne pourra se sentir qu’à l’issue des contrats pluri-annuels en cours. La COFACE garantira l’exportation de viande bovine en Grèce et la répression des fraudes va se mobiliser sur les contrôles du logo « viande française ». Enfin, le gouvernement va accompagner plus volontairement les efforts sur la méthanisation.
Un plan peu ambitieux au final et qui ressemble aux précédents : beaucoup de reports d’échéances comme un pari sur des jours meilleurs mais aucune vision de l’agriculture de demain. Les effets d’annonce sur le prix à pratiquer dans le panier du consommateur final, n’est pas plus crédible : l’organisation repose précisément sur le refus des Français à payer plus cher, peut-être parce que leur pouvoir d’achat est en berne ? Dans ce contexte, la mobilisation risque de se durcir tant la détresse de certains exploitants est grande et les syndicats pourraient être débordés par une base excédée.
Globalement, cette profession semble inaudible. Le gouvernement désarmé face aux industriels de la transformation, en est réduit à montré du doigt les distributeurs sans apporter de démonstration probante sur la répartition des marges. Quant au ministre, il rappelle qu’il a effectué plus de 200 déplacements en région…
Le gouvernement a pourtant pris des décisions, notamment en matière environnementale, qui pèsent lourdement sur les éleveurs porcins, pourquoi ne pas les adapter ? S’agissant des dettes, des solutions à long terme de désendettement peuvent et doivent être mises en place au lieu de reporter à plus tard des échéances insurmontables. Une nouvelle relation entre les différents acteurs de la filière doit être imaginée, qu’attend-on pour se mettre autour de la table ? Enfin, et il s’agit peut-être du coeur du sujet, l’organisation des exploitations et des filières devrait être revue, est-il soutenable de continuer de passer sous silence l’inadaptation de notre agriculture aux marchés ?
C’est un modèle qui doit être revu mais pour y parvenir le dialogue et la volonté politique doivent être rétablis. Un préalable indispensable.
Mathieu Quétel, président de Sountsou