Notre nouveau numéro de Lobby or not Lobby, l’émission radio consacrée au lobbying sur la Radio des Entreprises (RDE) est consacré cette semaine aux primaires. La primaire de la droite semble casser les codes habituels des campagnes électorales, Simon Janvier et Mathieu Quétel décryptent et donnent des idées pour mener une campagne de lobbying efficace dans ce contexte inédit.
Pour écouter cette émission spéciale lobbying en podcast cliquez ici vous pouvez également lire son verbatim ci-dessous.
Simon Janvier : Bonjour et bienvenue pour ce nouveau rendez-vous de « Lobby or not lobby » avec Mathieu Quétel, président de Sountsou – Affaires Publiques. Mathieu, bonjour, dans notre précédente émission, vous incitiez les chefs d’entreprise à se lancer dans une action de lobbying pendant les primaires pour l’élection présidentielle, aujourd’hui vous leur donnez quelques conseils pratiques.
Mathieu Quétel : Bonjour Simon. En effet. On a trop tendance en France à détester l’échec, alors imaginez un homme politique qui échoue dans une pré-campagne comme la primaire ! Avec ce raisonnement on se trompe doublement.
On ne peut nier que, par exemple, parmi les 7 candidats de la primaire à droite, un seul sortira vainqueur et c’est bien sur celui-là que les entrepreneurs devraient miser pour faire entendre leur voix.
C’est la première erreur. Une primaire, au sein d’un parti politique, est une étape pour sélectionner celui qui portera le programme et la candidature des différents courants qui le compose. Le vainqueur devra donc tenir compte de toutes ces nuances au sein de son camp pour espérer obtenir le maximum de voix. La première erreur consiste donc à ignorer ceux qui sont battus au sein de la primaire, car ils pèseront pendant la campagne et, surtout, une fois l’élection passée ils occuperont des postes clés.
Oui, enfin Mathieu, difficile toutefois d’imaginer que des recalés pourront espérer peser vraiment.
Prenons le cas d’Hervé Mariton. Il estimait avoir obtenu les parrainages nécessaires pour concourir à la primaire de la droite. Finalement, il lui manquait une vingtaine de signatures. Il a donc été recalé. Son ralliement est important pour les candidats en course. S’il a choisi de soutenir Alain Juppé, ce n’est pas un hasard. Leurs différences sont importantes, notamment sur l’Europe et sur les questions de société, malgré cela le Député de la Drôme, héraut du combat contre le Mariage pour Tous, soutient le Maire de Bordeaux, qui promet de ne pas revenir sur la Loi Taubira. Mariton apporte à Juppé une partie des conservateurs des Républicains et Juppé va permettre à Mariton de faire prospérer certaines de ses idées d’abord pendant la campagne, ensuite, probablement, au sein de son gouvernement.
D’accord on comprend mieux pourquoi il faut également miser sur les recalés. Et la seconde erreur à ne pas commettre ?
Cette campagne semble casser les codes habituels des élections. Les électeurs veulent du changement, ils exigent de nouveaux engagements de leurs politiques et ils semblent moins sensibles aux bonnes vieilles méthodes des campagnes électorales. D’une certaine façon, Nicolas Sarkozy semble en être la plus évidente victime. L’ancien Président mène assez logiquement une campagne de premier tour de primaire : il clive, il cible son camp, le socle dur de ses militants qu’il s’échigne à mobiliser. Mais ça ne prend pas, les sondages restent flats. Au contraire, on attendait un effondrement d’Alain Juppé. Il ne cesse de confirmer sa place de leader, il creuse même l’écart. Il reste encore plusieurs semaines de campagne, donc tout est possible, mais une tendance semble se dégager.
Et de quelle tendance parlez-vous ? Quelles conclusions en tirer, selon vous ?
Pour moi, Alain Juppé est en train de gagner cette primaire à la façon d’un bulldozer tranquille, l’effet « blast » c’est lui. Il se positionne directement au second tour de la présidentielle. Il a compris que les Français souhaitent un changement mesuré, des réformes, certes, mais pas de brutalité. Il joue sur ces attentes. Il considère que la radicalité s’exprime dans les votes d’extrême droite et d’extrême gauche, qui récoltent déjà à eux deux près de 40% des voix. Pour être élu, il faut donc cibler les 60% de Français qui ne se reconnaissent pas dans une affirmation radicale, plus ceux qui ont basculé dans les votes extrêmes pour « faire le ménage » mais pas sur une base idéologique.
Votre conclusion après ce constat ?
Elle est simple. Le Centre, devrais-je dire les centres, vont rejoindre Alain Juppé, le soutenir à l’instar de François Bayrou. Alain Juppé est en train de s’imposer comme le candidat de ceux qui rejètent à la fois les extrêmes et qui souhaitent envisager la politique au-delà des partis politiques. Il veille depuis quelques jours à re-droitiser sa campagne pour se garantir d’une trop lourde perte de voix au premier tour de la primaire, mais il y a de grandes chances pour qu’il propose une vaste coalition ensuite. À l’issue de cette élection présidentielle, il me semble probable que les uns et les autres seront associés à un gouvernement qui pourrait être plus centriste que PS radical ou LR super conservateur. Donc, pour votre lobbying, il faut miser sur toutes les personnalités qui sont en mesure d’incarner ce positionnement, et elles sont nombreuses !
Elles sont nombreuses en effet ! Alors comment s’y prendre ?
On a tendance au sein d’un parti à repérer les personnalités les plus fortes avec les idées les plus clivantes, il faut bien entendu ne pas les ignorer. Mais je vous invite à repérer les progressistes de tous les camps et à miser également sur eux. Nombreux sont ceux qui pèseront. Les clivages évoluent, sans doute lentement, mais notre paysage politique va se remodeler avec, probablement, des personnalités de centre gauche qui pourraient intervenir dans un gouvernement de droite et, réciproquement. C’est peut-être l’erreur fondatrice de François Hollande en 2012, ne pas avoir serré la main tendue par François Bayrou.
Mettez-vous à la place d’un chef d’entreprise ou d’un patron de fédération professionnelle, c’est tout de même complexe, cela ressemble à un lobbying de dentelle !
Contrairement aux apparences, la politique est complexe, les jeux de pouvoir ne sont pas toujours évidents. L’humain joue un rôle éminent sinon un attelage Sarkozy-Baroin n’existerait pas, par exemple. Toute action de lobbying doit intégrer la prise en compte de ces enjeux humains et de cette complexité. C’est pour cette raison que je conseille d’agir avec rigueur et presque en étant exhaustif, tous les acteurs sont importants. Qui aurait imaginer en 2011 qu’avec ses 5% à la primaire socialiste Manuel Valls puisse devenir premier Ministre de François Hollande ?
Au-delà du lobbying, cette élection présidentielle s’annonce décidément passionnante ! Nous avons hâte de vous retrouver très rapidement pour de nouvelles analyses et de précieux conseils lors d’un prochain numéro de « Lobby or not lobby ». Merci Mathieu Quétel, je rappelle que vous êtes le président de Sountsou- Affaires Publiques.