La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) vient de publier une note intitulée « lobbying, outil démocratique » qui permet de mieux cerner les contours du lobbying et qui pose quelques pistes de réformes, dont certaines sont déjà reprises dans le projet de loi Sapin 2 sur la transparence de la vie économique. Entretien avec l’auteur de cette note Anthony Escurat.
Sountsou : D’où vient votre intérêt pour le lobbying ?
Anthony Escurat : Féru de politique, j’ai découvert le lobbying lors de mes études à Sciences-Po Aix. Nous étudions en fait les processus de décision et, plus largement, l’élaboration de la norme. Je me suis dès lors passionné pour ce côté certes un tantinet austère de la science politique mais pourtant ô combien important. J’y ai découvert, à travers de nombreux travaux scientifiques tout d’abord (Offerlé, Grossman, Saurugger, Attarça, Rival, etc.), qu’il existait autour des acteurs publics pléthore d’autres protagonistes parties prenantes de la fabrication de la loi et dont l’influence était bien souvent aussi méconnue que substantielle. J’ai aussi constaté que l’État était lui-même un grand lobbyiste (à travers les études réalisées par Cornelia Woll notamment). Enfin, dans le cadre de mes fonctions professionnelles, j’ai actuellement la chance d’avoir pu passer de l’autre côté de la barrière et mener à mon tour des actions de lobbying.
Bien qu’il demeure un véritable tabou en France, le lobbying constitue pour autant un traceur de la décision publique, inhérent à la démocratie. Je considère qu’il est indispensable de le réguler davantage mais aussi de le démystifier afin de mettre un point final aux fantasmes qui l’entourent.
– Vous dressez quelques pistes dans votre note pour la Fondapol pour une réforme du lobbying en France, pouvez-vous nous les résumer ?
Il est tout d’abord intéressant de battre en brèche une idée assez largement répandue dans l’inconscient collectif : les pays où la présence des lobbyistes est la plus importante sont généralement ceux disposant des cadres juridiques à la fois les plus anciens et les plus contraignants.
Ainsi, les États-Unis, temples du lobbying, sont le premier pays au monde à avoir réglementé les activités d’influence à la fin des années 1940, et font aujourd’hui encore référence en la matière. Le Canada, le Royaume-Uni, l’Irlande mais aussi l’Union européenne ne sont pas en reste et ont développé ces dernières décennies des arsenaux réglementaires importants.
En dépit de quelques avancées ces dernières années, le cadre réglementaire français reste quant à lui très lacunaire. En encadrant uniquement le jeu parlementaire, ces règles font abstraction des autres lieux de pouvoir autour desquels gravitent les lobbies : cabinets ministériels, administrations centrales et autorités administratives indépendantes au niveau national, ainsi que, sur le plan local, services déconcentrés de l’État et collectivités territoriales notamment.
Les enjeux ne sont pourtant pas minces puisque – certes à des degrés variables – le lobbying y est omniprésent. Des études ont en effet démontré que les lobbyistes français ne passeraient pas plus de 30% de leur temps au Parlement. La réglementation des arènes politiques auxquels les représentants d’intérêt consacrent les 70% restants – soit la majorité de leur activité – reste donc encore largement à écrire.
En quelques lignes, je propose dès lors de charger la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) d’une mission de contrôle et de surveillance du lobbying et, sur le modèle québécois, de nommer en son sein un vice-président dédié. L’objectif est simple : renforcer la transparence dans les relations entre représentants d’intérêt et titulaires de charge publique (élus et hauts fonctionnaires) et permettre à la Haute Autorité, en tant qu’organe désormais référent en la matière, de prendre des sanctions le cas échéant envers les acteurs publics et privés parties prenantes.
Ensuite, il convient d’étendre l’ « empreinte normative » mise en place par l’Assemblée nationale au Sénat ainsi qu’au gouvernement. Cela se traduirait par la création d’un registre des lobbyistes, la mise en place d’un code éthique et d’un règlement intérieur pour l’ensemble des cabinets ministériels mais aussi pour les autorités administratives indépendantes ainsi que certaines directions des administrations centrales des ministères. Idem pour les services déconcentrés de l’État dans nos territoires ainsi que les collectivités territoriales, véritables « no man’s réglementaires » actuellement.
Enfin, du côté des lobbies, je propose notamment sur le modèle des dispositifs mis en place par la Commission européenne et les États-Unis, d’imposer aux représentants d’intérêt accrédités auprès des différentes institutions publiques de déclarer de bonne foi les dépenses engagées pour leurs activités d’influence, tous types de financements publics perçus ainsi que, dans le cadre de cabinets spécialisés, la liste des clients pour lesquels ils opèrent.
– Selon vous pourquoi le lobbying souffre-t-il d’une mauvaise image en France au contraire des pays anglo-saxons ?
La mauvaise image accolée au lobbying en France est très ancienne. À la différence de l’approche anglo-saxonne, la France demeure encore aujourd’hui extrêmement rétive à la participation des lobbies dans la fabrication de la loi et la définition du bien commun. Selon la conception tricolore, seuls les élus – uniques récipiendaires de l’onction démocratique – en constituent les dépositaires légitimes, s’arrogeant au côté de l’État le monopole de l’intérêt général.
Cette aversion franco-française pour le lobbying est le fruit d’un héritage historique et politique ancien et encore très ancré dans nos esprits. Influencée par la vision de Jean-Jacques Rousseau et déjà vivace au Moyen-Age, la conception hexagonale voit dans les associations d’individus un danger pour la démocratie ; la manifestation des intérêts particuliers dans le processus décisionnel étant perçue comme une entrave à l’intérêt général susceptible, en outre, d’agir concurremment à la puissance publique. Un crime de lèse-démocratie dans l’Hexagone !
Rappelons néanmoins qu’à l’origine les pays anglo-saxons et la France partageaient une même défiance à l’égard du lobbying ; une pratique présumée coupable d’altérer la bonne marche de la démocratie. Mais contrairement aux Français avec lesquels ils partagent cette défiance originelle, les Anglo-saxons ont rapidement décidé de faire de cette menace une opportunité en intégrant les groupes d’intérêt au cœur du système démocratique. De cette approche pragmatique a alors émergé une véritable doctrine de gouvernance qui favorise l’expression de la diversité de la société civile tout en permettant, parallèlement, à l’État de se délester du monopole de la définition du bien commun. Le lobbying constitue dès lors un mode de représentation légitime des intérêts particuliers pour les Anglo-saxons.
Ce qui est frappant dans les premières lignes du projet de loi « Sapin II », c’est que le lobbying n’y est absolument pas défini et qu’il demeure manifestement frappé du sceau de la suspicion. La vieille tradition française semble donc fortement enracinée. Il est temps de faire évoluer les esprits et de comprendre que le lobbying – s’il est régulé bien entendu – n’a rien d’infamant et qu’au-delà de ça il est consubstantiel à la démocratie.
Biographie :
Anthony Escurat est diplômé de Novancia, de l’Université Lyon 3 puis de Sciences Po Aix. Il a effectué différents stages à l’ambassade de France en Algérie, à la présidence de la République ainsi qu’à l’OCDE. Après avoir travaillé au sein des groupes Mazars et CMA CGM, il est désormais responsable de la communication et des relations institutionnelles d’un syndicat professionnel et, en parallèle, doctorant en science politique à Sciences Po Aix. Il écrit également régulièrement des articles à caractère économique et politique dans différents médias (Les Échos.fr, Le Figaro.fr, La Tribune, Atlantico, Le Temps, Le Quotidien d’Oran…). Passionné par le continent africain et le monde arabe, il a vécu trois ans à Alger et a travaillé dans l’humanitaire au Ghana et au Togo.