Le 1er septembre est paru l’ouvrage collectif « Politique et éthique : regards croisés » chez Bart & Jones. Sous la direction éditoriale de Nathalie Bordeau et David-Xavier Weiss, 17 co-auteurs, universitaires, élus ou chefs d’entreprise confrontent leurs réflexions. Le chapitre consacré aux médias a été confié à Mathieu Quétel, président de Sountsou. Nous vous invitons à découvrir aujourd’hui, l’introduction de cette partie du livre, dont l’intégralité des droits d’auteurs est reversée à l’association Le Refuge.
« Lorsque David-Xavier Weiss m’a demandé d’écrire sur le thème de l’éthique et des médias, je me suis immédiatement trouvé face à une flopée d’interrogations : que peut-on ou non montrer ? Pourquoi les journalistes s’arrogent-ils le droit de cacher certaines informations ? Pourquoi jugent-on les citoyens insuffisamment matures pour leur dévoiler certaines images ? Quelle place pour l’éthique dans les médias traditionnels lorsque le net est libre de toute régulation ? Qui peut décider de ce qui relève de la vérité, de l’éthique et qui est vraiment en capacité de mesurer les limites à poser ? Faut-il envisager la création d’un organisme de contrôle de l’éthique et de la déontologie journalistique ? Vaste sujet qui concerne un secteur en pleine mutation.
Les médias traditionnels ont un rôle éminent à jouer dans notre société devenue à la fois complexe et rapide dans ses évolutions. Ils ont bien entendu une mission de découverte, d’accès au savoir mais également de divertissement. Dans un environnement numérique, sans contrôle ni véritable rigueur éditoriale, ils constituent un outil fiable d’accès à l’information.
Néanmoins, les médias traditionnels, mais également les acteurs de l’information pure players du net (car il en existe aujourd’hui de sérieux), sont confrontés à une évolution de leur modèle économique et à la recherche de la monétisation de leur audience. Les modèles pérennes n’ont pas encore été trouvés et, il faut l’admettre, la stabilité économique est la base d’une bonne information. Nous assistons ces derniers mois à une vague de concentration dans la presse avec le rachat de l’Express par Patrick Drahi, celui du Parisien par LVMH, l’audiovisuel est également touché avec la cession controversée de Numéro 23 à Next Radio TV (RMC, RMC Découvertes, BFMTV, BFM Business…) et d’autres vont immanquablement suivre. Si les marques survivent, les actionnaires historiques s’effacent au profit d’industriels ou d’acteurs de la nouvelle économie, ce qui ne manque pas de poser la question des évolutions éditoriales et des pressions qui pourraient s’exercer à terme sur les rédactions. Les médias attirent de nouveaux entrants, souvent industriels ou richissimes investisseurs, qui semblent être les seuls à être en capacité de soutenir la mutation digitale de la presse et de l’audiovisuel. Les intérêts économiques seront-ils prioritaires à la recherche de l’information ?
Depuis longtemps, les journalistes sont soupçonnés, à tort ou à raison, de connivence avec le personnel politique, ces rapprochements capitalistiques vont ils leur ôter toute liberté éditoriale et toute légitimité à l’égard du public ? Si cette dérive devait se produire, elle serait préjudiciable aux médias eux-mêmes qui ne trouveraient plus leur public. Néanmoins, on peut espérer en la solidité des rédactions face à leurs actionnaires pour ne pas se laisser entrainer dans cette impasse.
L’éthique dans les médias est également bousculée par l’apparition de nouveaux censeurs qui tentent de s’ingérer dans les rédactions et de donner des labels de bonne conduite (de bonnes pensées ?) aux éditorialistes ou aux polémistes. Quand les médias cèdent à ces pressions, se pose la question de la liberté d’expression mais également du débat dans l’espace public. Or, le risque est grand de voir les digues autour des médias se briser et ceux-ci sombrer dans une dangereuse aseptisation de leurs contenus.
Le numérique bouscule tout, y compris les médias. Mais il est là, inévitable. Il s’agit désormais d’une lapalissade mais il y a encore quelques mois, de nombreux dirigeants de médias regardaient le digital avec une certaine condescendance, considérant que les contenus, leurs contenus, constitueraient une plus-value incontournable face au net. Ils avaient en partie raison. Les géants du net ont entamé une véritable course éditoriale pour enrichir leurs offres et ils rivalisent d’imagination pour proposer aux adeptes des réseaux sociaux, par exemple, des articles désormais intégrés et en partage de revenus avec les éditeurs, comme le fait Facebook. Google s’est lancé dans la mise en place d’un Fonds européen pour la presse, initié en France. Le Digital News Initiative, est doté de 150 millions d’euros pour trois ans et sur toute l’Europe quand le Fonds pour l’innovation numérique de la presse (FNIP) français était doté de 60 millions d’euros pour les seuls éditeurs français, ceux-ci vont donc percevoir moins de soutien de la part du géant américain. Cette opération de séduction européenne vise à apaiser les tensions entre Google et les éditeurs, entre celui qui diffuse des contenus et bénéficie des revenus publicitaires générés et ceux qui fabriquent ces contenus mais qui ne sont plus rémunérés à juste mesure. C’est un enjeu primordial pour la presse, menacée de paupérisation.
Les attentats des 7 et 9 janvier ont choqué la France et ont rendu visible à tous la menace sournoise qui pèse sur notre pays. Ce choc collectif appelait des décisions fortes de la part du gouvernement qui se sont, notamment, traduites dans le vote de la loi Renseignement, véritable outil de chasse à l’information sensible mais également de surveillance collective des citoyens par le gouvernement. Plusieurs dispositions de cette loi posent des questions essentielles de liberté publique et de liberté de la presse, notamment sur la protection des sources et sur la récolte de l’information. Dans une approche de l’éthique des médias, ce sont des éléments à considérer, car plus les journalistes subissent de pressions externes, plus le risque sera grand de basculer vers une auto-censure de précaution face au risque pénal encouru. »
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