Retrouvez la tribune co-signée par Raphaële Rabatel, Gilles Le Gendre et Mathieu Quétel, du réseau de consultants en entreprise, Les Company Doctors, publiée dans le quotidien Les Échos, daté du 17 février 2017. Vous pouvez la lire ici ou la découvrir ci-dessous.
La politesse au travail, outil de performance
Arriver en retard à une réunion. Répondre à une sollicitation seulement si on y a un intérêt. Ne pas rappeler un candidat malheureux à un recrutement. Avoir les yeux (et les doigts) rivés sur son smartphone pendant une conversation. Ne pas « perdre son temps » à dire bonjour à ses collègues. Interrompre une présentation à tout moment. Débaucher un collaborateur d’un autre service sans en informer son chef. Passer sous silence le concours de ses collègues quand le boss est content. Envoyer un PowerPoint fleuve le dimanche après-midi pour un comex le lundi matin. « Oublier » d’inviter un collègue à une réunion où sa présence pourrait faire de l’ombre. Laisser le téléphone sonner dans le vide. Inonder ses collègues de mails pour se couvrir ou faire semblant d’être sur le coup… Ces incivilités sont à ce point ordinaires – que celui qui n’a jamais péché… – qu’elles sont devenues invisibles. Faisant oublier que la courtoisie, au contraire, se révèle créatrice de valeur durable.
Pourtant, le jour n’est pas venu où les bonnes manières seront un critère du variable et une composante des fondamentaux du professionnalisme. L’entreprise n’est que le miroir de la société. Mais, s’agissant d’une communauté humaine dont tous les membres se connaissent, elle devrait promouvoir des relations plus urbaines. Il n’en est (presque) rien. Comment expliquer alors ces discourtoisies auxquelles ces femmes et ces hommes succombent au travail et qu’ils s’interdisent probablement dans la sphère privée ? La faute au système ? Peut-être bien. La pression et le stress, les priorités et les urgences, la réduction du temps de travail (et non des tâches), la productivité, la concurrence… Les bonnes excuses ne manquent pas, qui poussent à ces impolitesses. Non seulement le système ne les sanctionne pas, mais il les exonère dès lors que… la performance est au rendez-vous ! Pire, pour faire taire celui qui s’insurgerait devant si peu de considération, la sentence tombe : « Il n’y a rien de personnel. » Fermez le ban !
Et si c’était l’inverse ? Si la courtoisie était une condition nécessaire de la performance ? Certes, la comptabilité analytique ne permet pas de valider une telle hypothèse. Plus facile de chiffrer les gains tirés du plafonnement des notes de frais que les bénéfices d’un coup de main spontané… La civilité au travail est un élément discret mais crucial de la motivation. Le manager qui prête attention à ses équipes et prend le temps de les saluer chaque matin instaure une dimension humaine et de partage, qui se retrouvent dans leurs résultats. Mais ce n’est pas tout. Des salariés plongés dans des relations empreintes de rudesse auront toujours des difficultés à ne pas imposer le même régime à leurs clients. C’est une prise de conscience récente, mais capitale, désignée par le nouveau label de « symétrie des ressentis ». Autrement dit, une expérience-client magique ne peut reposer que sur une expérience-collaborateur de même intensité.
Il ne faut surtout pas se tromper de remède. Par exemple, le droit à la déconnexion, mis en place par la loi travail, ou les dispositifs visant à prévenir le harcèlement relèvent d’un autre registre. La courtoisie concerne plutôt les programmes de culture managériale engagés par les entreprises pour modifier les rapports humains et les pratiques d’autorité et inciter les managers à une écoute et une disponibilité plus grandes vis-à-vis de leurs équipes. Certaines vont plus loin et n’hésitent pas à promouvoir une charte des pratiques courtoises, plus ou moins contraignante, mais largement promue. Elles ont compris qu’une personne accorte fait la différence dans un environnement de plus en plus contraint. Néanmoins, l’angélisme n’est pas de mise. La courtoisie, cette posture invisible des radars financiers, a beau être un élément de « sur valeur », au final, l’exemple du numéro 1, bon ou mauvais, et sa tolérance, grande ou petite, aux mauvaises manières, seront plus déterminants que le poids des procédures. Même les mieux attentionnées.
Gilles Le Gendre, Mathieu Quétel et Raphaële Rabatel sont membres des Company Doctors, réseau de consultants en entreprise